Massacre du 17 octobre 1961 : un sombre épisode de l'histoire coloniale qui interpelle la France

Le massacre du 17 octobre 1961 perpétré contre de pacifiques manifestants algériens est un des plus sombres épisodes de l’histoire de la révolution nationale, en même temps qu’il continue à rappeler la responsabilité historique, non encore reconnue, de la France vis-à-vis de ses crimes perpétrés tout au long de sa présence coloniale en Algérie.

Alors que les accords d’Evian conduisaient l’Algérie vers la voie de la reconquête de sa souveraineté, par la force d’une résistance farouche de son peuple, le colonisateur français a de nouveau commis, dans la nuit du 17 octobre 1961, l’un de ses crimes les plus sinistres à l’encontre d’Algériens sans défense.

Sur ordre du préfet de police de La Seine, Maurice Papon, les forces de l’ordre avaient, cette nuit-là, sauvagement brimé une manifestation pacifique dans la capitale française, à l’appel de la Fédération de France du Front de libération nationale (FLN), en dénonciation du couvre-feu en vigueur depuis quelques jours, et ciblant les seuls "Nord-africains", ou encore "Français musulmans d’Algérie".

Hommes, femmes et enfants avaient répondu par milliers présents et convergé vers les grandes artères de Paris lesquelles n’ont pas tardé à devenir le théâtre d’une barbarie policière peu égalée, visant à mâter ce qui n’était qu’une action de rejet d’une énième injustice contre tout un peuple soumis au joug colonial.

La sanglante répression, qui s’est poursuivie bien au-delà de la nuit du 17, s’était soldée par des dizaines de manifestants jetés dans la Seine, tués par balles ou morts le crâne fracassé par des manches de pioche ou des crosses de fusil, selon les comptes-rendus de l’époque. 

Un nombre non négligeable de manifestants devait, par ailleurs, croupir dans divers centres d'emprisonnement. A cette sauvagerie inhumaine, s’est greffée une véritable "amnésie organisée" visant à étouffer le massacre, comme attesté par l'historien français Gilles Manceron, dans "La Triple occultation d'un massacre".

Evoquant des événements d’une "gravité exceptionnelle", l’historien cite, à ce propos, la censure imposée à la presse, les instructions judiciaires "non abouties", la difficulté d’accès aux archives, l'épuration d'un certain nombre de fonds, etc...

Il aura fallu attendre la décennie 90 pour que des faits remontent à la surface, à la faveur, entre autres, du procès Papon (1997-1998), jugé pour complicité de crimes contre l'humanité pendant l'Occupation allemande. Des témoins avaient alors soutenu sa responsabilité directe dans les tragiques événements du 17 octobre.  

Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde du 20 mai 1998, un autre historien français, Jean-Luc Einaudi, avait qualifié la riposte policière de cette nuit de "massacre". Un terme qui avait valu à son auteur d’être poursuivi en justice par Papon pour "diffamation", mais ce dernier sera débouté de sa plainte, le tribunal ayant considéré recevable la terminologie de "massacre", un véritable tournant juridique. 

La guerre des chiffres

Plus d’un demi-siècle après l’indépendance du pays, l’ampleur de ce massacre demeure sous appréciée en raison d’un prévalant discours français qui a voulu circonscrire une barbarie sans précédents à sa plus simple expression.

"Deux morts, 44 blessés graves, 7.500 Nord-africains arrêtés", titrait Le Figaro au lendemain de la manifestation, citant des chiffres de la préfecture de police. 

Pendant le procès Papon, le ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, avait chargé une commission d’examiner les documents de la police, laquelle conclut à "quelques dizaines" de morts parmi les manifestants algériens, soit à 40, voire à "pas plus" de 50 victimes.

Une seconde commission d’enquête sera créée un peu plus tard et conclura à "au moins 48" personnes tuées dans la nuit du 17 au 18 octobre, tout en précisant que ce chiffre est "vraisemblablement inférieur" à la réalité dans la mesure où la certitude n’avait pas été établie que "tous les nombreux corps immergés ont été retrouvés".

Un historien français, Jean-Paul Brunet, avait également tenté de minimiser le drame en estimant entre 30 à 50 le nombre de morts. Une conclusion "très contestée", notamment du côté algérien mais y compris par certains de ses compatriotes.

Pour la première fois, un bilan plus important est ainsi avancé en 1991 du côté français par Jean-Luc Einaudi dans sa publication "La Bataille de Paris, 17 octobre 1961" où il évoque 200 morts, recensés sur la base des archives du FLN et d’autres témoignages. Pour la période septembre-octobre 1961, l’historien donnera le nombre de 325 morts parmi les Algériens.

Elles seraient plus de 300 victimes de la violence policière, avait-on avancé du côté algérien alors que les témoignages des survivants de cette nuit avaient décrit des méthodes ordonnées par Maurice Papon d’une rare sauvagerie, citant des scènes apocalyptiques de dizaines de corps flottant sur La Seine ou emportés par le courant jusqu’à la Manche.

Une férocité qui avait fait écrire à deux historiens britanniques, Jim House et Neil MacMaster, dans "Les Algériens, la République et la terreur d'Etat", paru en 2008, qu'il s'agit de "la répression d'Etat la plus violente qu'ait jamais provoquée une manifestation de rue en Europe occidentale dans l'histoire contemporaine". 

Une reconnaissance inédite, en attendant les excuses

En 2012 et à la veille du 51ème anniversaire du massacre, le président français, François Hollande déclarait que la France "reconnaît avec lucidité" la "tragédie" qu’a constitué la "répression sanglante" d’Algériens qui manifestaient pour leur droit à l'indépendance. Il s’agissait alors de la première reconnaissance officielle de la "responsabilité" de l’Etat français dans la répression d’un événement qui s’était déroulé pendant la période coloniale.

Réagissant au lendemain de cette sortie inédite, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal avait salué "les bonnes intentions" manifestées par la France pour tourner la page de ces douloureux faits, sans toutefois que cela signifie leur "oubli" par les Algériens qui attendent des "excuses officielles" pour l’ensemble des crimes coloniaux qui entachent la présence française en Algérie, avait-il néanmoins souligné.

Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, avait estimé, dans un message adressé quelques mois auparavant à son homologue français à l’occasion de la fête du 14 Juillet, qu’"il était temps" de faire un examen "lucide et courageux" du passé entre les deux pays et ce, dans la perspective du renforcement de leurs liens d’"estime et d’amitié".

APS

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