Des chercheurs développent pour la première fois une prothèse de rétine liquide

Avec l’âge, les cellules rétiniennes peuvent se dégrader progressivement, entraînant une cécité dans les cas les plus graves. L’une des stratégies pour réhabiliter la vision chez les personnes atteintes de dégénérescence rétinienne consiste à implanter une matrice d’électrodes en surface de la rétine pour stimuler les cellules restantes après la disparition des photorécepteurs. Mais le bénéfice réel de ce type de prothèse est encore limité.

Cette nouvelle rétine liquide artificielle est biomimétique et contient un composant aqueux dans lequel des nanoparticules polymériques photoactives en suspension vont remplacer les photorécepteurs endommagés. Une méthode plus efficace, associée à un acte chirurgical moins traumatisant pour le patient.

Des troubles dégénératifs sans véritable traitement

Le processus de vieillissement peut entraîner de nombreuses pathologies oculaires, notamment la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge), qui dans les cas les plus graves, peut conduire à la cécité. Les dystrophies rétiniennes héréditaires (rétinopathie pigmentaire) sont une autre cause répandue de cécité. Les traitements existants sont bien souvent limités ; par le passé, certaines prothèses rétiniennes ont été développées pour stimuler le réseau cellulaire rétinien encore fonctionnel, mais de par leur manque de sensibilité et de résolution, elles ont débouché sur peu d’applications.

Parmi les implants les plus efficaces à ce jour, citons la prothèse Argus II, développée par la société américaine Second Sight, ou encore le système Prima, du français Pixium Vision. Tous deux permettent de restituer une partie de l’acuité visuelle chez les patients malvoyants et se composent d’une partie interne et externe : une petite caméra positionnée sur des lunettes portées par le patient transmet l’image – par connexion sans fil – à l’implant, lui-même connecté au nerf optique par des électrodes ; ces dernières émettent des impulsions électriques et stimulent les cellules encore fonctionnelles de la rétine.

Des chercheurs italiens, du Centre de nanoscience et nanotechnologie de Milan et du Centre pour les neurosciences et technologies synaptiques de Gênes, ont entrepris de concevoir un tout nouveau type de prothèse. Elle est constituée d’une suspension aqueuse de nanoparticules photoactives de polymère conjugué : celles-ci sont chargées de remplacer fonctionnellement les photorécepteurs endommagés de la rétine. Ces nanoparticules ont une taille de 350 nanomètres, soit environ 1/100e du diamètre d’un cheveu !

Ce n’est pas la première fois que cette équipe de chercheurs travaille sur le sujet : cette prothèse est une évolution d’un modèle de rétine artificielle – une prothèse photovoltaïque organique – qu’ils avaient développé en 2017, basée sur des matériaux semi-conducteurs organiques (Nature Materials 2017). Déjà à l’époque, les résultats se voulaient encourageants : la prothèse avait permis de restaurer la vision chez le rat atteint de cécité dégénérative. La récupération de la fonction visuelle s’était accompagnée d’une augmentation de l’activité métabolique basale du cortex visuel primaire.

Ils ont cette fois-ci franchi une nouvelle étape, car cette rétine artificielle de « deuxième génération » est liquide, biocompatible et micro-injectable ; elle offre une haute résolution spatiale. Testée également chez le rat atteint de rétinite pigmentaire, cette prothèse liquide a montré de bons résultats : la stimulation par la lumière naturelle des nanoparticules a provoqué l’activation des neurones rétiniens épargnés par la dégénérescence, imitant ainsi le fonctionnement des photorécepteurs chez des sujets sains.

Les données collectées lors des essais sur le rat ont montré que cette technique innovante pourrait constituer une alternative sérieuse aux méthodes utilisées actuellement pour restaurer la capacité photoréceptrice des neurones rétiniens, tout en préservant leur résolution spatiale (soit le niveau de détails). De quoi constituer une base solide pour de futurs essais cliniques chez l’Homme…

La nanotechnologie au service de la médecine

Finalement, les nanoparticules de polymère qui composent cette prothèse agissent comme de minuscules cellules photovoltaïques ; Guglielmo Lanzani, du Centre de nanoscience et nanotechnologie de Milan, explique qu’une fois injectées dans la rétine, ces nanoparticules forment de petits agrégats, de taille comparable à celle des neurones, qui se comportent effectivement comme des photorécepteurs.

 Istituto Italiano di Tecnologia (IIT)

Une fois injectées sous la rétine, les nanoparticules demeurent en suspension et jouent le rôle de photorécepteurs. Crédits : Istituto Italiano di Tecnologia (IIT)

Par rapport aux autres approches existantes, cette prothèse à l’état liquide garantit une chirurgie rapide et moins traumatisante, qui consiste en des micro-injections de nanoparticules directement sous la rétine. Grazia Pertile, directrice de l’unité opérationnelle d’ophtalmologie de l’IRCCS Ospedale Sacro Cuore Don Calabria, ajoute que la procédure est en outre potentiellement reproductible dans le temps, contrairement aux prothèses rétiniennes planes. Elle conserve également tous les avantages de la prothèse en polymère, notamment une sensibilité naturelle à la lumière qui pénètre dans l’œil, mais sans requérir de lunettes équipées d’une caméra, ni source d’énergie externe – contrairement aux autres prothèses.

Cette méthode garantit également une efficacité accrue. « La création d’un implant rétinien artificiel liquide a un grand potentiel pour assurer une vision large champ et une vision haute résolution », souligne Fabio Benfenati, qui coordonne l’équipe du Centre pour les neurosciences et technologies synaptiques de Gênes.

Le spécialiste explique que le fait d’enfermer les polymères photoactifs dans des particules plus petites que les photorécepteurs augmentent la surface active d’interaction avec les neurones rétiniens, ce qui permet de couvrir facilement toute la surface rétinienne et d’étendre la photoactivation au niveau d’un seul photorécepteur.

Par ailleurs, le développement de ces nanomatériaux photosensibles ouvre la voie à de nouvelles applications futures en neurosciences et en médecine. La recherche est aujourd’hui au stade préclinique, mais de nouvelles expérimentations permettront de faire de cette technique innovante un traitement efficace et durable pour des maladies telles que la rétinite pigmentaire – qui concerne près de 40’000 personnes en France – et la dégénérescence maculaire liée à l’âge, qui touche 25 à 30% des plus de 75 ans.

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